Définir des objectifs

Grâce à ses jeux de figuration et à ses tactiques d’atténuation (c’est ainsi qu’est souvent interprété le zoomorphisme des personnages), la littérature de jeunesse permet de prendre en charge des questions métaphysiques telles que Dieu, le temps ou la mort, et de mettre à distance, en les reléguant dans l’imaginaire, des situations aussi tragiques que l’abandon, la pauvreté ou la guerre. Elle serait alors le lieu idéal pour aborder de grandes questions sociétales, philosophiques et anthropologiques.

Pour autant, la littérature de jeunesse peut-elle parler de tout ? Même si elle intègre de plus en plus des sujets de société importants suscitant des réactions vives sur la scène publique (comme, ces dernières années, l’homoparentalité ou la question des sans-papiers et des « migrants »), certains thèmes restent rarement traités. La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse engendre une censure de fait, et des effets d’autocensure, chez les prescripteur·rice·s, les auteur·rice·s et les éditeur·rice·s. À l’inverse, la scolarisation de la littérature de jeunesse dans le cadre de l’Éducation morale et civique (EMC) engendre des phénomènes d’instrumentalisation de la littérature (parfois dès le projet d’écriture), qui se voit chargée de répondre à des questions de société (le vivre ensemble, la laïcité, la violence…), voire d’aider à les résoudre. Cette instrumentalisation correspond parfois à une demande plus générale des éducateur·rice·s, notamment des parents, qui utilisent les livres pour la jeunesse comme véhicules d’un discours qu’il·elle·s souhaitent tenir à l’enfant.

Le débat est souvent tranché grâce à l’argument de la forme et du traitement des sujets. Les analyses de Bruno Bettelheim ou de Michel Tournier montrent bien que « l’épaisseur glauque » du conte (Michel Tournier) permet de parler à mots couverts de la sexualité ou de tabous. Ses « significations fantomatiques » (Michel Tournier) font pressentir certaines réalités, touchent et enrichissent le jeune lecteur, sans l’éclairer. Ces analyses peuvent être étendues, à bien des égards, à nombre de récits qui ne sont pas (ou pas uniquement) des contes. Ainsi, la question est moins celle du « quoi ? » que du « comment ? ». Il convient également d’envisager le fait qu’« aborder les grandes questions » renvoie à un spectre large de réception du texte : du pressentiment à l’interprétation et à la discussion.

Cette section mettra en évidence les tensions pouvant exister autour de certains sujets « brulants », interrogera la manière de les traiter et proposera, en les analysant, des ressources (corpus et démarches) pour aborder ces « grandes questions ».