Dans le cadre d’une enquête ayant pour objectif de rendre compte des actions menées par l’édition pour familiariser les enfants à la pratique lectorale, leur faire acquérir des habitudes de lecteurs, des gouts et des connaissances littéraires et culturelles, un questionnaire a été adressé à l’école des loisirs. Ces questions ont eu pour objet de décrire le parcours culturel des éditeurs, leurs représentations de l’enfance et du métier d’éditeur, les objectifs qu’ils poursuivent en sélectionnant des œuvres. Dans ce cadre, pendant la pandémie de 2020, Grégoire Solotareff a accepté de répondre à des questions.
Enquête auprès d’un éditeur de L’école des loisirs: Grégoire Solotareff
- Rédigé par Kathy Similowski
Dans le cadre d’une enquête ayant pour objectif de rendre compte des actions menées par l’édition pour familiariser les enfants à la pratique lectorale, leur faire acquérir des habitudes de lecteurs, des gouts et des connaissances littéraires et culturelles, nous avons adressé un questionnaire à l’école des loisirs. Ces questions ont eu pour objet de décrire le parcours culturel des éditeurs, leurs représentations de l’enfance et du métier d’éditeur, les objectifs qu’ils poursuivent en sélectionnant des œuvres. Dans ce cadre, pendant la pandémie de 2020, Grégoire Solotareff nous a répondu.
L’itinéraire de Grégoire Solotareff se trouve sur le site de l’école des loisirs. Il est né en 1953 à Alexandrie, en Égypte, d’un père médecin d’origine libanaise et d’une mère peintre, écrivaine et illustratrice d’origine russe (Olga Lecaye). Après avoir passé son enfance en Égypte, puis au Liban et enfin en Île-de-France, il exerce la médecine puis décide de se consacrer au dessin et à l’écriture, et plus particulièrement aux livres pour enfants. Comme d’autres, c’est pour son fils réclamant des images aux histoires qu’il raconte, qu’il commence à produire des albums, en 1985. Sa production actuelle est de plus de 150 livres pour la jeunesse, traduits dans de nombreux pays d’Europe et d’Asie. Dans les années 2000, il se lance dans l’animation : un moyen métrage (Loulou et autres loups, en étroite collaboration avec le scénariste Jean-Luc Fromental, 2003), un premier long métrage (U, coréalisé avec Serge Elissalde[1], 2006) puis un second (Loulou, l’incroyable secret, coécrit avec Jean-Luc Fromental et coréalisé avec Eric Omond[2], 2013, César 2014 du meilleur film d’animation). Parallèlement à son activité d’auteur-illustrateur pour la jeunesse, il pratique la photographie. Couleurs chez Loulou et compagnie réunit quelques-unes de ses photos. Investi avec la même passion dans tous les arts visuels, il écrit une pièce-concert, mise en musique par Sanseverino, Isabelle et la bête (mise en scène à Grenoble en 2012). Il réalise également des modelages en terre ou en résine. En plus de ses activités de création artistique, Grégoire Solotareff, qui vit et travaille à Paris, dirige à l’école des loisirs la collection pour les tout-petits (0-5 ans), Loulou & Cie, qu’il a créée en 1994. Cette collection comporte des albums cartonnés, des pop-ups, des albums « abordant tous les sujets, sous forme d’imagiers ou d’histoires permettant l’éveil des enfants, mais surtout en défendant la notion de plaisir ».
Les propos de l’auteur-éditeur n’ont pas été reformulés. Nous les livrons à nos lecteurs avec un souci d’authenticité.
Parcours culturel
Pourriez-vous décrire votre propre rapport au livre et à la littérature lorsque vous étiez enfant et adolescent ? Que lisiez-vous ? Qu’aimiez-vous lire ? Aimiez-vous écrire ?
Je suis né dans une maison pleine de livres. Nous étions quatre enfants. Père médecin et écrivain. Mère peintre. J’ai eu du plaisir à lire assez tard. J’aimais les récits plus que les contes. J’ai aimé dessiner puis écrire assez jeune.
Quels sont vos meilleurs et moins bons souvenirs de lecteur lorsque vous étiez enfant, puis adolescent ?
J’aimais davantage les longs récits que les livres pour enfants et je continue à préférer, en tant que lecteur, les récits à la fiction.
Avez-vous rencontré des écrivains, des conteurs qui vous ont marqué ?
Beaucoup d’auteurs et de peintres m’ont marqué : Daniel Defoe, La Fontaine, Selma Lagerlöf[3]…
Enfant ou adolescent, étiez-vous intéressé par d’autres pratiques culturelles comme la musique, la peinture, la visite de musée, le cinéma, le dessin ?
Oui, toutes ces pratiques, essentiellement le dessin.
Et plus tard ?
C’est toujours le cas.
Quel parcours culturel vous a finalement conduit à devenir éditeur ?
Celui d’auteur jeunesse à l’école des loisirs.
Représentation de l’enfance
Pour vous, qu’est-ce qui caractérise l’enfance ?
La faculté d’adaptation aux situations les plus difficiles, la naïveté, la curiosité, seul, la tolérance, en groupe (par exemple à l’école) l’intolérance.
Qu’est-ce qu’une enfance heureuse ?
Un environnement heureux.
Quelles thématiques vous semblent propres à l’enfance ?
La découverte, l’injustice, l’héroïsme.
À quoi les enfants sont-ils sensibles, selon vous, lorsqu’ils lisent ?
La simplicité d’expression et la richesse du sujet.
Que recherchent-ils avant tout ?
Ils ne cherchent rien mais sont curieux de ce qu’on leur donne. Dans un texte, l’émotion sous toutes ses formes, leur plaît certainement.
Prenez-vous en compte, quand vous sélectionnez un livre, des gouts, des peurs des enfants ?
Non pas les gouts mais les peurs[4], oui, dans une certaine limite.
Est-ce que vous pensez à un enfant en particulier ou à un profil d’enfant quand vous sélectionnez les livres ?
Non. Peut-être moi-même enfant.
Doit-on cacher aux enfants certaines vérités ?
Aux petits enfants, c’est certain.
Doit-on éviter certains sujets ?
Oui, évidemment, cela va de soi.
L’objectif d’un livre est-il de rendre l’enfant heureux ?
Trop ambitieux. Lui plaire suffit, l’amuser, l’intéresser.
Représentation de votre métier
Vers 1993, G. Solotareff aide ses amis à affiner et terminer leurs projets quand Arthur Hubschmid lui propose de créer une collection pour tout-petits. Dans L’atelier de Grégoire Solotareff[5], il explique : « Assez rapidement, j’ai eu envie de faire des livres marqués par la gaieté, des livres plutôt joyeux, assez simples mais pas simplistes ! Cela a eu pour effet d’exiger une synthèse graphique des auteurs : une image plus graphique que dessinée. C’est ce qui a fait l’esprit de la collection. ». En tant que directeur de cette collection, il recherche « une petite surprise, quelque chose d’intelligent et de gai, qui ne soit ni didactique ni moral. La gaieté, c’est important ça fait partie de la séduction d’un livre pour tout-petits. Tu ne peux pas proposer, et encore moins expliquer, des choses noires à des petits. On peut jouer à la peur – ressort éminent de toutes les fictions – mais pas la provoquer pour de vrai. »
Quel est le rôle d’un éditeur dans l’éducation littéraire et artistique des enfants ?
Fournir des livres intelligents.
Les enseignants ont un usage pédagogique des œuvres, pour apprendre à lire et à comprendre, qu’en pensez-vous ?
C’est leur liberté mais il ne faut pas qu’ils demandent à un livre d’être trop pédagogique, ce n’est pas le but premier.
Quelles sont les qualités pour être un bon éditeur ?
Avoir lu et vu assez de choses pour pouvoir en parler avec les auteurs. Un petit sens de l’humour est préférable pour ne pas faire des livres ennuyeux.
Lorsque vous demandez à un auteur de modifier son texte, quelles sont en général vos demandes ?
Impossible de répondre à cette question, trop vaste. Rendre le livre meilleur !
Lorsque vous sélectionnez des œuvres, à quoi êtes-vous attentif ?
À l’ensemble texte images.
Quelles sont les caractéristiques d’un bon album/livre ?
Intelligence et clarté, qualité des images, absence de vulgarité.
Le sens ?
Un livre doit dire quelque chose, ne pas être seulement une blague.
L’originalité de l’histoire ?
Non, mais la façon de la raconter, oui.
Sa cohérence ?
Oui.
Sa structure ?
Oui.
La qualité de la langue ?
Oui.
Les valeurs morales sous-jacentes ?
Évidemment.
Dans un album, que privilégiez-vous les mots ou l’esthétisme des illustrations ?
Dans mon cas précis ce sont d’abord des livres d’images, soutenues par un texte qui doit être aussi le mieux possible.
Êtes-vous sensible à la réputation des auteurs ?
Elle est le plus souvent inexistante.
Si vous êtes auteur, comment cette qualité influence-t-elle ou non votre sélection ?
Bien entendu mais j’essaye de ne pas juger d’après mes propres critères artistiques. Par exemple je ne juge pas des choix des couleurs des auteurs, sauf quand c’est flagrant qu’une couleur de titre par exemple, égayerait une couverture.
Objectifs poursuivis lors de la sélection des œuvres
Tenez-vous compte de la diversité des publics ?
Non.
Vous arrive-t-il de penser à l’hétérogénéité des milieux sociaux des enfants ?
Non.
Leur éventuelle situation de handicap ?
Un sujet sur le handicap peut évidemment m’intéresser à condition qu’il soit bien traité.
Finalement quels objectifs poursuivez-vous lorsque vous sélectionnez des œuvres ?
La cohérence, la nouveauté de l’ensemble, l’originalité du traitement y compris d’un cliché.
Des objectifs éducatifs ?
Non.
Des objectifs littéraires ?
Oui dans une certaine mesure.
Des objectifs artistiques ?
Oui.
D’autres objectifs ? Développer la lecture plaisir, répondre aux préoccupations des enfants et de leur milieu ?
Leur milieu non, l’enfance, oui.
[1] Serge Elissalde est un réalisateur français de films d’animation.
[2] Eric Omond est un scénariste et dessinateur de BD français.
[3] Selma Lagerlöf (1858-1940) est la première femme à recevoir le prix Nobel de littérature en 1909.
[4] Extrait de L’atelier de Grégoire Solotoreff par Adèle de Boucherville (consultable sur le site de l’école des loisirs) : « La peur, c’est d’abord un ressort de fiction. Un ressort qui permet de se poser une question : qu’est-ce qui va arriver ? On peut presque commencer toutes les histoires comme ça ! »
[5] Extraits de l’atelier de Grégoire Solotareff par Adèle de Boucherville (consultable sur le site de l’école des loisirs).