Définir des objectifs

Tout un pan du discours prescriptif éducatif considère la littérature de jeunesse comme une simple propédeutique à la lecture, chargée de développer l’envie de lire et de cultiver le gout des livres, mais présuppose, dans le même temps, que la littérature de jeunesse n’a pas la légitimité (culturelle, esthétique) de la « vraie » littérature à laquelle elle doit conduire.

À l’inverse, si l’on estime que la littérature est un espace de création esthétique à part entière, on peut supposer qu’elle participe pleinement au développement des aptitudes d’interprétation du·de la jeune lecteur·rice, à plusieurs titres. Grande créatrice et grande mobilisatrice de stéréotypes, elle fonctionne suivant le principe prégnant de « l’intertextualité intentionnelle » (Dieter Petzold), impliquant la reconnaissance de structures, de schèmes, de conventions culturelles et esthétiques, dans leurs variations.

Par nature adressée à un double lectorat, elle peut également susciter plusieurs niveaux de lecture, d’autant que les productions pour la jeunesse sont riches en œuvres « résistantes » (Catherine Tauveron) appelant la participation du·de la lecteur·rice. Cette sollicitation, pouvant passer, parmi bien d’autres procédés, par les jeux de décalage entre texte et image pour les iconotextes, par la mise en scène de narrateurs non fiables, par la mise en jeu (parfois même physiquement avec certains livres-objets) de l’acte même de lecture, place, de fait, le lecteur en position d’interprète.

« De fait », certes, mais à condition que l’enfant ait été accoutumé à se poser des questions, grâce à la médiation de l’adulte. La formation du·de la lecteur·rice par la littérature de jeunesse nécessite donc une acculturation. On peut alors avancer, en suivant une perspective sociologique, que, dans leur ensemble, les productions littéraires pour la jeunesse permettent de développer des postures de lecture multiples (identificatoire, éthique ou didactique, selon les termes de Christine Détrez).

Cette rubrique se propose de préciser ces différents aspects de la formation du lecteur, et de poursuivre la réflexion en examinant et en interrogeant des pratiques et des œuvres.